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Chacun était plongé dans un profond repos ;
Le maître du logis, les valets, le chien même,
Poules, poulets, chapons, tout dormait. Le fermier,
Laissant ouvert son poulailler,
Commit une sottise extrême.
Le voleur tourne tant qu’il entre au lieu guetté,
Le dépeuple, remplit de meurtres la cité.
Les marques de sa cruauté
Parurent avec l’aube : on vit un étalage
De corps sanglants et de carnage.
Peu s’en fallut que le soleil
Ne rebroussât d’horreur vers le manoir liquide.
Tel, et d’un spectacle pareil,
Apollon irrité contre le fier Atride
Joncha son camp de morts ; on vit presque détruit
L’ost[1] des Grecs ; et ce fut l’ouvrage d’une nuit.
Tel encore autour de sa tente
Ajax, à l’âme impatiente,
De moutons et de boucs fit un vaste débris,
Croyant tuer en eux son concurrent Ulysse
Et les auteurs de l’injustice
Par qui l’autre emporta le prix.
Le renard, autre Ajax aux volailles funeste,
Emporte ce qu’il peut, laisse étendu le reste.
Le maître ne trouva de recours qu’à crier
Contre ses gens, son chien : c’est l’ordinaire usage.
Ah ! maudit animal, qui n’est bon qu’à noyer,
Que n’avertissais-tu dès l’abord du carnage ? —
Que ne l’évitiez-vous ? c’eût été plus tôt fait :
Si vous, maître et fermier, à qui touche le fait,
Dormez sans avoir soin que la porte soit close,
Voulez-vous que moi, chien, qui n’ai rien à la chose,

  1. L’armée.