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Que ces castors ne soient qu’un corps vide d’esprit,
Jamais on ne pourra m’obliger à le croire :
Mais voici beaucoup plus ; écoutez ce récit,
Que je tiens d’un roi plein de gloire.
Le défenseur du nord vous sera mon garant :
Je vais citer un prince aimé de la Victoire ;
Son nom seul est un mur à l’empire ottoman :
C’est le roi polonais[1]. Jamais un roi ne ment.
Il dit donc que, sur sa frontière,
Des animaux entre eux ont guerre de tout temps :
Le sang, qui se transmet des pères aux enfants,
En renouvelle la matière.
Ces animaux, dit-il, sont germains du renard.
Jamais la guerre avec tant d’art
Ne s’est faite parmi les hommes,
Non pas même au siècle où nous sommes.
Corps de garde avancé, vedettes, espions,
Embuscades, partis, et mille inventions
D’une pernicieuse et maudite science,
Fille du Styx, et mère des héros,
Exercent de ces animaux
Le bon sens et l’expérience.
Pour chanter leurs combats, l’Achéron nous devrait
Rendre Homère. Ah ! s’il le rendait,
Et qu’il rendît aussi le rival d’Épicure[2],
Que dirait ce dernier sur ces exemples-ci ?
Ce que j’ai déjà dit ; qu’aux bêtes la nature
Peut par les seuls ressorts opérer tout ceci ;
Que la mémoire est corporelle ;

  1. Sobieski, qui passa quelque temps à Paris, et rechercha la société de madame de la Sablière, chez laquelle la Fontaine eut occasion de s’entretenir avec lui.
  2. Descartes.