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Pour qui l’art d’Esculape en vain fit ce qu’il put,
Dut sa perte à ces soins qu’on prit pour son salut.

Même précaution nuisit au poète Eschyle.
Quelque devin le menaça, dit-on,
De la chute d’une maison.
Aussitôt il quitta la ville,
Mit son lit en plein champ, loin des toits, sous les cieux.
Un aigle, qui portait en l’air une tortue,
Passa par là, vit l’homme, et sur sa tête nue,
Qui parut un morceau de rocher à ses yeux,
Étant de cheveux dépourvue,
Laissa tomber sa proie afin de la casser :
Le pauvre Eschyle ainsi sut ses jours avancer.

De ces exemples il résulte
Que cet art, s’il est vrai, fait tomber dans les maux
Que craint celui qui le consulte ;
Mais je l’en justifie, et maintiens qu’il est faux.
Je ne crois point que la Nature
Se soit lié les mains, et nous les lie encore
Jusqu’au point de marquer dans les cieux notre sort :
Il dépend d’une conjoncture
De lieux, de personnes, de temps ;
Non des conjonctions de tous ces charlatans.
Ce berger et ce roi sont sous même planète ;
L’un d’eux porte le sceptre, et l’autre la houlette.
Jupiter[1] le voulait ainsi.
Qu’est-ce que Jupiter ? un corps sans connaissance.
D’où vient donc que son influence
Agit différemment sur ces deux hommes-ci ?
Puis comment pénétrer jusques à notre monde ?
Comment percer des airs la campagne profonde ?

  1. Planète de ce nom.