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Prenez en gré mes vœux ardents,
Et le récit en vers qu’ici je vous dédie.
Son sujet vous convient ; je n’en dirai pas plus :
Sur les éloges que l’envie
Doit avouer qui vous sont dus
Vous ne voulez pas qu’on appuie.

Dans Athène autrefois, peuple vain et léger,
Un orateur, voyant sa patrie en danger,
Courut à la tribune ; et, d’un art tyrannique,
Voulant forcer les cœurs dans une république,
Il parla fortement sur le commun salut.
On ne l’écoutait pas. L’orateur recourut
À ces figures violentes
Qui savent exciter les âmes les plus lentes :
Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu’il put,
Le vent emporta tout ; personne ne s’émut.
L’animal aux têtes frivoles[1],
Étant fait à ces traits, ne daignait l’écouter ;
Tous regardaient ailleurs : il en vit s’arrêter
À des combats d’enfants, et point à ses paroles.
Que fit le harangueur ? Il prit un autre tour.
Cérès, commença-t-il, faisait voyage un jour
Avec l’anguille et l’hirondelle :
Un fleuve les arrête ; et l’anguille en nageant,
Comme l’hirondelle en volant,
Le traversa bientôt. L’assemblée à l’instant
Cria tout d’une voix : Et Cérès, que fit-elle ?
Ce qu’elle fit ! un prompt courroux
L’anima d’abord contre vous.
Quoi de contes d’enfants son peuple s’embarrasse ;
Et du péril qui le menace

  1. Expression pittoresque qui désigne le peuple.