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La Fortune a-t-elle des yeux ?
Et puis, la papauté vaut-elle ce qu’on quitte,
Le repos ? le repos, trésor si précieux
Qu’on en faisait jadis le partage des dieux !
Rarement la Fortune à ses hôtes le laisse.
Ne cherchez point cette déesse,
Elle vous cherchera : son sexe en use ainsi.

Certain couple d’amis, en un bourg établi,
Possédait quelque bien. L’un soupirait sans cesse
Pour la Fortune ; il dit à l’autre un jour :
Si nous quittions notre séjour ?
Vous savez que nul n’est prophète
En son pays : cherchons notre aventure ailleurs.
Cherchez, dit l’autre ami : pour moi, je ne souhaite
Ni climats ni destins meilleurs.
Contentez-vous, suivez votre humeur inquiète :
Vous reviendrez bientôt. Je fais vœu cependant
De dormir en vous attendant.
L’ambitieux, ou, si l’on veut, l’avare,
S’en va par voie et par chemin.
Il arriva le lendemain
En un lieu que devait la déesse bizarre
Fréquenter sur tout autre ; et ce lieu, c’est la cour.
Là donc pour quelque temps il fixe son séjour,
Se trouvant au coucher, au lever, à ces heures
Que l’on sait être les meilleures ;
Bref, se trouvant à tout, et n’arrivant à rien.
Qu’est-ce ci ? se dit-il : cherchons ailleurs du bien.
La Fortune pourtant habite ces demeures,
Je la vois tous les jours entrer chez celui-ci,
Chez celui-là : d’où vient qu’aussi
Je ne puis héberger cette capricieuse ?