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Il fut couché tout le dernier.
Autre plainte. Quoi donc ! dit le Sort en colère,
Ce baudet-ci m’occupe autant
Que cent monarques pourraient faire !
Croit-il être le seul qui ne soit pas content ?
N’ai-je en l’esprit que son affaire ?

Le Sort avait raison. Tous gens sont ainsi faits :
Notre condition jamais ne nous contente ;
La pire est toujours la présente.
Nous fatiguons le ciel à force de placets.
Qu’à chacun Jupiter accorde sa requête,
Nous lui romprons encor la tête.


XII

LE SOLEIL ET LES GRENOUILLES

Aux noces d’un tyran tout le peuple en liesse[1]
Noyait son souci dans les pots.
Ésope seul trouvait que les gens étaient sots
De témoigner tant d’allégresse.

Le Soleil, disait-il, eut dessein autrefois
De songer à l’hyménée.
Aussitôt on ouït, d’une commune voix,
Se plaindre de leur destinée
Les citoyennes des étangs.
Que ferons-nous s’il lui vient des enfants ?
Dirent-elles au Sort : un seul Soleil à peine
Se peut souffrir ; une demi-douzaine
Mettra la mer à sec et tous ses habitants.
Adieu joncs et marais : notre race est détruite,
Bientôt on la verra réduite

  1. Réjouissance.