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Que d’y ruminer jour et nuit,
Et rendre sa chevance[1] à lui-même sacrée.
Qu’il allât ou qu’il vînt, qu’il but ou qu’il mangeât,
On l’eût pris de bien court, à moins qu’il ne songeât
À l’endroit où gisait cette somme enterrée.
Il y fit tant de tours qu’un fossoyeur le vit,
Se douta du dépôt, l’enleva sans rien dire.
Notre avare un beau jour ne trouva que le nid.
Voilà mon homme aux pleurs ; il gémit, il soupire,
Il se tourmente, il se déchire.
Un passant lui demande à quel sujet ses cris. —
C’est mon trésor que l’on m’a pris. —
Votre trésor ! où pris ? — Tout joignant cette pierre. —
Eh ! sommes-nous en temps de guerre
Pour l’apporter si loin ? N’eussiez-vous pas mieux fait
De le laisser chez vous en votre cabinet
Que de le changer de demeure ?
Vous auriez pu sans peine y puiser à toute heure. —
À toute heure, bons dieux ! ne tient-il qu’à cela ?
L’argent vient-il comme il s’en va ?
Je n’y touchais jamais. — Dites-moi donc, de grâce,
Reprit l’autre, pourquoi vous vous affligez tant :
Puisque vous ne touchiez jamais à cet argent,
Mettez une pierre à la place ;
Elle vous vaudra tout autant.


XXI

L’ŒIL DU MAÎTRE

Un cerf s’étant sauvé dans une étable à bœufs,
Fut d’abord averti par eux
Qu’il cherchât un meilleur asile ;

  1. Son bien, sa fortune.