Page:La Fontaine - Fables, Bernardin-Bechet, 1874.djvu/122

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Des raisins, mûrs apparemment[1],
Et couverts d’une peau vermeille.
Le galant en eût fait volontiers un repas ;
Mais comme il n’y pouvait atteindre :
Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats.

Fit-il pas mieux que de se plaindre ?

XII

LE CYGNE ET LE CUISINIER

Dans une ménagerie
De volatiles remplie
Vivaient le cygne et l’oison :
Celui-là destiné pour les regards du maître ;
Celui-ci, pour son goût : l’un qui se piquait d’être
Commensal du jardin ; l’autre, de la maison.
Des fossés du château faisant leurs galeries,
Tantôt on les eût vus côte à côte nager,
Tantôt courir sur l’onde, et tantôt se plonger,
Sans pouvoir satisfaire à leurs vaines envies.
Un jour le cuisinier, ayant trop bu d’un coup,
Prit pour oison le cygne ; et, le tenant au cou,
Il allait l’égorger, puis le mettre en potage.
L’oiseau, prêt à mourir, se plaint en son ramage.
Le cuisinier fut fort surpris,
Et vit bien qu’il s’était mépris.
Quoi ! je mettrais, dit-il, un tel chanteur en soupe !
Non, non, ne plaise aux dieux que jamais ma main coupe
La gorge à qui s’en sert si bien !

Ainsi dans les dangers qui nous suivent en croupe
Le doux parler ne nuit de rien.

  1. Paraissant mûrs.