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Que dans une ruelle avec une voix tendre,
Pour suivre et soutenir par des accords touchants
De quelques airs choisis les mélodieux chants,
Boisset, Gaultier, Hémon, Chambonniere, La Barre,
Tout cela seul déplaît, et n’a plus rien de rare.
On laisse là Dubut, et Lambert, et Camus ;
On ne veut plus qu’Alceste5, ou Thésée6, ou Cadmus7.
Que l’on n’y trouve point de machines nouvelles,
Que les vers soient mauvais, que les voix soient cruelles :
De Baptiste8 épuisé les compositions
Ne sont, si vous voulez, que répétitions :
Le François pour lui seul contraignant sa nature,
N’a que pour l’Opéra de passion qui dure.
Les jours de l’Opéra, de l’un à l’autre bout,
Saint Honoré, rempli de carrosses partout,
Voit, malgré la misère à tous états commune,
Que l’Opéra tout seul fait leur bonne fortune.
Il a l’or de l’Abbé, du Brave, du Commis ;
La Coquette s’y fait mener par ses amis ;
L’Officier, le Marchand tout son rôti retranche
Pour y pouvoir porter tout son gain le Dimanche.
On ne va plus au Bal, on ne va plus au Cours :
Hiver, Été, Printemps, bref, Opéra toujours ;
Et quiconque n’en chante, ou bien plutôt n’en gronde
Quelque récitatif, n’a pas l’air du beau monde.
Mais que l’heureux Lully ne s’imagine pas
Que son mérite seul fasse tout ce fracas.



5. Opéra de Quinault, représenté en avril 1674.

6. Opéra de Quinault, joué à Saint-Germain, en 1675.

7. Opéra de Quinault, joué en avril 1673.

8. Jean-Baptiste Lully. Walckenaër remarque qu’il était de bon ton à la Cour de désigner ce musicien par son prénom et cite, à ce propos, ce passage des Fâcheux (acte I, scène iv) :

N’a pointBaptiste le très-cher
N’a point veu ma courante, et je le vais chercher.