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Tel souvent en a peu qui croit en avoir tout,
Et mesme va bien loin sans aller jusqu’au bout.
Que Pamphile d’ailleurs volontiers ne l’écoute,
Toute sage qu’elle est, je n’en fais point de doute :
C’est le propre du sexe, il veut estre flatté,
Et se plaist aux effets que produit sa beauté.
Puis nostre homme a dequoy charmer la plus severe,
Il est jeune, il est beau, tousjours prest à tout faire ;
En dit plus qu’on ne veut, sçait bien le debiter,
Est d’humeur liberale, et donne sans compter.
Si par ces qualitez d’abord il ne la touche,
Le temps, qui peut gagner l’esprit le plus farouche,
Ne luy permettra pas d’y faire un long effort,
Et ce peu de loisir m’embarasse tres-fort.
Je crains nostre vieillard, qu’on attend d’heure en heure ;
Il n’a jamais aux champs fait si longue demeure ;
Quelque charme puissant l’y retient arresté ;
S’il revient une fois, le mystere est gasté.
O Dieux ! c’est fait de nous, le voicy qui s’avance,
Je ne sçais quel frisson m’annonçoit sa presence.
Parmenon, cependant que tout seul il discourt,
Va te precipiter : ce sera ton plus court ;
Qui pourroit toutesfois choisir une autre voye[1]
Le vieillard est plus doux qu’il ne veut qu’on le croye :
L’amour pour ses enfans, qu’il laisse à l’abandon,
Fait qu’il me reste encor quelque espoir de pardon ;
Usons à cét abord d’un peu de complaisance.

  1. Dans l’édition originale et dans les Œuvres diverses de 1729 ce vers est tel que nous le donnons ici, mais, au lieu d’être terminé par trois points, il l’est par un point avec une virgule. Cela rend le sens fort obscur ; aussi, pour y remédier, M. Walckenaër a-t-il corrigé, sans en prévenir :
    Tu pourrois toutefois choisir une autre voie.
    Ce changement, que rien n’autorise, jette, à ce qu’il me semble, beaucoup de froideur sur tout le passage. Le vers s’explique fort bien d’ailleurs par un sens suspendu, et la tournure est alors pleine de vivacité.