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Madame, en un mot comme en trente,
De grâce, écoutez-moi ; si proche du trépas,
Ayant à vous parler, ne m’interrompez pas.
À défunt votre époux il prit un jour envie
Dans la maison des champs d’avoir la comédie ;
Le mal d’enfant vous prit, et monsieur votre époux
Fut père d’un garçon, ou crut l’être. Chez vous
Accoucha le jour même une comédienne ;
Cette femme accouchée aussi c’était la mienne :
Elle fit un garçon, et je le crus de moi,
Car la défunte était laide ; et, de bonne foi,
Quoiqu’elle vît en moi sans cesse un beau modèle,
Le fils qu’elle me fit était aussi laid qu’elle.
Je pestais de bon cœur contre cette souillon,
Quand je vis remuer le petit Bouvillon,
Qui parut à mes yeux d’aussi belle structure,
Que mon magot était de laide regardure.
Il me prit de troquer une tentation.
Votre avare nourrice, en cette occasion,
À l’or de mes louis sensible plus qu’une autre,
Se chargea de mon fils, et me donna le vôtre :
Moi, dès le même instant, de peur qu’on en vît rien,
J’emportai votre fils, et vous laissai le mien ;
Si bien que cet ingrat, dont la fureur impie
Par un coup détestable a fusillé ma vie,
Est mon fils ; et le vôtre, élevé de ma main,
À qui j’ai façonné l’esprit, c’est le Destin.

Madame Bouvillon
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le destin est mon fils ! Mon cœur en pâme d’aise ;
Il faut que tout mon soûl je le baise et rebaise.

La Baguenaudière