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Parmenon

Vous, espouser Thaïs ! Une femme inconnuë,
Sans amis, sans parens, de tous biens despouveuë,
Vefve, et contre le gré de ceux de qui la voix
Dans cette occasion doit regler vostre choix !
Ce discours, sans mentir, me surprend et m’estonne.
Je n’ay pas entrepris de blasmer sa personne :
Elle est sage, et l’accueil qu’en ont tous ses Amans
N’aboutit (je le crois) qu’à de vains complimens.
Mais…

Phœdrie

Mais… Il suffit, le reste est de peu d’importance.
Thaïs, quoy qu’estrangere, est de noble naissance,
Qu’importe qu’un espoux ait regné sur son cœur ?
Sa beauté, tousjours mesme est encore en[1] sa fleur.
Quant aux biens, ce soucy n’entre point dans mon ame,
Et je ne pretens pas me vendre à quelque femme
Qui, m’ayant acheté pour me donner la loy,
Se croiroit en pouvoir de disposer de moy.
En l’estat où les Dieux ont mis nostre famille,
Je dois estimer l’or bien moins qu’un œil qui brille ;
Aussi le seul devoir a contraint mon desir,
Sans que je laisse aux miens le pouvoir de choisir.
Sans doute à l’espouser j’eusse engagé mon ame ;
Ne cachons point icy la moitié de sa flâme ;
C’est à tort que des miens j’allegue le pouvoir,
Et je cede au dépit bien plus qu’à mon devoir.

Parmenon

Vous cedez à l’amour plus qu’à vostre colere,
Ce courroux implacable en soupirs degenere,
Vous faisiez tantost peur, et vous faites pitié.
Vostre cœur, sans mentir, est de bonne amitié,
Ce qu’il a sceu cherir, rarement il l’abhorre :
Il adoroit ses fers, il les respecte encore ;
Ces fers à leur captif n’ont rien qu’à se montrer,

  1. Œuvres diverses de 1729 : dans.