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rang elles parleroient. Ce fut à Palatiane de haranguer la premiere : elle se leva donc, et après s’estre approchée du balustre, elle se retourna à demy vers ses rivales, et leur adressant sa voix, elle commença de cette sorte :

Quoy, par vous ces honneurs sont aussi contestez ?
Vous pretendez le prix qu’on doit à mes beautez ?
Ingrates, deviez-vous en avoir la pensée ?

A ce mot d’ingrates toutes se leverent, et témoignerent avoir quelque chose à dire ; mais les juges, pour éviter la confusion, ayant ordonné qu’elles ne s’interromproient point, Palatiane continua en ces termes :

Juges, pardonnez-moy cette plainte forcée :
Je sçais qu’en suppliante il faloit commencer ;
C’est a vous que ma voix se devoit adresser ;
Mais le dépit m’emporte, et puisqu’il faut tout dire,
Enfin voila le fruit, trop vaine Appellanire,
Dont vous reconnoissez mes bien-faits aujourd’huy.
Contre les Aquilons mon art vous sert d’appuy :
N’en ayez point de honte ; en sauvant vostre ouvrage
J’oblige aussi les Dieux dont vous tracez l’image.
Et bien ! vous la tracez mais imparfaitement :
Et moy, je leur bâtis un second firmament.
Ce que je dis pour vous, je le dis pour les autres ;
Tout ce qu’ont fait dans Vaux les Le Bruns, les Le Nôtres
Jets, cascades, canaux et platfonds si charmans,
Tout cela tient de moy ses plus beaux ornemens.
Contempler les efforts-de quelque main sçavante,
Juger d une Peinture, ou muette ou parlante
Admirer d’Apollon les pinceaux ou la voix
Errer dans un jardin, s’égarer dans un bois,
Se coucher sur des fleurs, respirer leur haleine,
Ecouter en rêvant le bruit d’une fontaine,
Ou celuy d’un ruisseau foulant sur des cailloux