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CHANT PREMIER.

Si j’excellois en l’art où je m’applique,
Et que l’on pût tout reduire à nos sons,
J’expliquerois par raison mécanique
Le mouvement convulsif des frissons ;
Mais le talent des doctes nourrissons
Sur ce sujet veut une autre maniere.
Il semble alors que la machine entiere
Soit le joüet d’un demon furieux.
Muse, aide-moy ; vien sur cette matiere
Philosopher en langage des dieux.

Des portions d’humeur grossiere,
Quelquefois compagnes du sang,
Le suivent dans le cœur sans pouvoir, en passant,
Se subtiliser de maniere
Qu’il naisse des esprits en même quantité
Que dans le cours de la santé.
Un sang plus pur s’échauffe avec plus de vitesse :
L’autre reçoit plus tard la chaleur pour hôtesse ;
Le temps l’y sçait aussi beaucoup mieux imprimer.
Le bois verd, plein d’humeurs, est long à s’alumer.
Quand il brûle, l’ardeur en est plus vehemente.
Ainsi ce sang chargé repassant par le cœur
S’embrase d’autant plus que c’est avec lenteur,
Et regagne au degré ce qu’il perd par l’attente.

Ce degré c’est la fievre. A l’égard des retours
A certaine heure, en certains jours,
C’est un poinct incrustable, à moins qu’on ne le fonde
Sur les momens prescripts à cuire ou consumer
L’aliment ou l’humeur qui s’en est pû former.
Il n’est merveille qui confonde
Nôtre raison aveugle en mille autres effets,
Comme ces temps marquez où nos maux sont sujets.
Vous qui cherchez dans tout une cause sensible,
Dites-nous comme il est possible
Qu’un corps dans le desordre ameine reglément
L’accés, ou le redoublement.