Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/419

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
411
DE SAINT MALC.

Fait sortir nos Heros de ces lieux solitaires.
Loin du Peuple profane ils vont finir leurs jours.
Un bourg de peu de nom fait enfin leurs amours.
Là le couple pieux aussi-tost se sépare.
De leur mensonge saint l’offense se répare.
Cét hymen se dissoud. La Dame entre en un lieu
Où cent vierges ont pris pour époux le vray Dieu.
Dans un Cloistre éloigné Malc s’occupe au silence ;
Et s’il n’alloit parfois regler la violence
Dont la chaste récluse embrasse l’oraison,
Sa retraite pourroit s’appeler sa prison.
Il y vit dans les pleurs, nectar de pénitence :
C’est le seul dont ses vœux demandent l’abondance.
Plus Ange que mortel, il se prive des biens
Qui sont de nostre corps agréables soûtiens.
Ce jeusne rigoureux n’accourcit point sa vie.
Des deux flambeaux du Cid la course entre-suivie
A long-temps ramené la peine et le repos,
Le repos aux humains, la peine au saint Heros,
Sans qu’il semble approcher du terme de sa course.
De son zele fervent l’inépuisable source
Fomeute la chaleur qui retarde sa mort :
Pres d’un siecle d’hyvers n’a pu l’éteindre encor ;
Jerosme en est témoin, ce grand Saint dont la plume
Des faits du Dieu vivant expliqua le volume[1].
Il vid Malc, il apprit ces merveilles de luy ;
Et mes legers accords les chantent aujourd’huy.
Qui voudra les sçavoir d’une bouche plus digne,
Lise chez Dandilli cette avanture insigne[2].
Jerosme l’écrivoit lors que le Peuple franc
Du bon-heur des Romains arrestoit le torrent.
Je la chante en un temps où sur tous les Monarques

  1. Saint Jérôme a traduit la Bible de l’hébreu en latin. C’est cette version qui est connue sous le nom de Vulgate.
  2. Arnauld d’Andilly a donné une traduction de la lettre de saint Jérôme dans les Vies des saints Pères des déserts et de quelques saintes… (Voy. les Œuvres diverses de M. Arnauld d’Andilly, 1675, in-fol., t. 2, p. 185-195.)