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POEME DE LA CAPTIVITE.

Mal-gré les loix d’hymen j’ay gardé ce tresor.
Aprés l’avoir sauvé d’un amour legitime,
Voudrois-je maintenant le perdre par un crime ?
Non, Malc ; je ne crois pas que le Ciel le souffrist.
Il m’en empescheroit, quelque appast qui s’offrist.
Ne craignez plus ; vivez ; l’Eternel vous l’ordonne.
Estimez-vous si peu cét estre qu’il vous donne ?
Vostre corps est à luy ; ses mains l’ont façonné :
Le droit d’en disposer ne vous est point donné.
Quelle imprudence à vous de finir vostre course
Par le seul des péchez qui n’a point de ressource !
Toute faute s’expie ; on peut pleurer encor :
Mais on ne peut plus rien, s’estant donné la mort.
Vivez donc, et taschons de tromper ces barbares.
Le Saint ne put trouver de termes assez rares
Pour rendre-grace au Ciel, et loüer cette sœur
Dont la sagesse estoit égale à la douceur.
Cette nuit s’acheva comme les precedentes :
Dieu leur fit employer en prieres ardentes
Des momens que l’on croit innocemment perdus,
Quand le somme a sur nous ses charmes répandus.
Le lendemain l’Arabe en ses champs les renvoye.
Là montrant aux Bergers une apparente joye,
Les larmes, les soupirs et les austeritez,
Quand ils se trouvoient seuls, faisoient leurs voluptez.
En eux-mesmes souvent ils cherchoient des retraites.
On ne s’apperceut point de ces peines secretes ;
Chacun crut qu’ils s’aymoient d’un amour conjugal :
Aucun plaisir au leur ne sembloit estre égal.
On se le proposoii tous les jours pour exemple ;
Et lors que deux époux estoient conduits au temple,
Que le Ciel, disoit-on, afin de vous combler,
Fasse à l’hymen de Malc le vostre ressembler !
Le saint couple à la fin se lasse du mensonge ;
En de nouveaux ennuis l’un et l’autre se plonge.
Toute feinte est sujet de scrupule à des Saints :
Et, quel que soit le but où tendent leurs desseins,
Si la candeur n’y regne ainsi que l’innocence,