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POEME DE LA CAPTIVITE.

Et ne se sçauroit-il affranchir en naissant ?
L’Arabe, ayant ainsi double profit en veuë,
Donne aux chastes bergers une alarme impréveuë ;
Leur propose à tous deux un lien plein d’horreur.
Ne nous fais point, dit Malc, tomber dans cette erreur
Celle que tu me veux joindre par l’hyménée
D’un legitime époux suivoit la destinée.
Tu la luy vins ravir ; tu le pus par ta Loy.
Nous ne nous plaignons point de nos fers ny de toy,
Redouble la rigueur d’un joug involontaire :
Mais puisque nostre Dieu nous défend l’adultere,
Laisse-nous resister à ton vouloir impur.
Nostre innocence t’est un gage bien plus seur.
Quel service attends-tu de nous, quand nôtre zele
N’aura pour fondement qu’une ardeur criminelle ?
Si tu crains qu’estans bons nous ne quittions tes champs,
Te fieras-tu sur nous quand nous serons méchans ?
L’Arabe à ce discours se sent transporter d’ire.
Vil esclave, dit-il, tu m’oses contredire !
Meurs ou cede ; obeïs, et garde desormais
De m’alleguer ton Dieu, que je ne crus jamais.
Aussi tost de son glaive il dépoüille la lame :
Et Malc épouvanté s’approche de la Dame.
Le soir on les enferme en un lieu sans clartez :
Leur mariage n’eut que ces formalitez.
On n’y vid point d’Hymen ny de Junon parêtre.
Frivoles Deïtez qui nous devez vostre estre,
Vous n’accourustes pas : comment l’auriez-vous pu ?
Vous n’estes que des noms dont le charme est rompu.
Nostre couple estant seul eut recours aux prieres.
Tous deux avoient besoin de graces singulieres.
Ils ne s’estoient point veus encor dans ces dangers ;
Non que, portant leurs pas loin des autres bergers,
L’Enfer n’eust quelquefois leur perte conspirée :
Mais des yeux du Seigneur leur conduite éclairée
Ne s’écartoit jamais de la divine Loy.
Le Berger cette nuit se défia de soy.
Sa crainte, incontinent de desespoir suivie,