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DE SAINT MALC.

Il luy donna l’employ d’une simple bergere,
Avec Malc l’envoya pour garder ses troupeaux.
Bien-tost entre leurs mains ils devinrent plus beaux.
Le saint couple cherchoit les lieux les plus sauvages,
S’approchoit des rochers, s’éloignoit des rivages ;
Luy-mesme il se fuyoit ; et jamais dans ces bois
Les Echos n’ont formé des concerts de leurs voix.
Aux jours où l’on faisoit des vœux pour abondance
Ils ne paroissoient point aux jeux ny dans la danse :
On ne les voyoit point à l’entour des hameaux
Mollement étendus dormir sous les ormeaux.
Les entretiens oisifs et feconds en malices,
Du mercenaire esclave ordinaires delices,
Estoient fuis avec soin de nos nouveaux Bergers ;
Ils n’envioient point l’heur des troupeaux étrangers.
Jamais l’ombre chez eux ne mit fin aux prieres,
Ny la main du sommeil n’abbaissa leurs paupieres.
La nuit se passoit toute en vœux, en oraison.
Dés que l’aube empourproit les bords de l’orison,
Ils menoient leurs troupeaux loin de toutes approches.
Malc aimoit un ruisseau coulant entre des roches.
Des cedres le couvroient d’ombrages toûjours verts :
Ils défendoient ce lieu du chaud et des hyvers.
De degrez en degrez l’eau tombant sur des marbres,
Mesloit son bruit aux vents engoufrez dans les arbres.
Jamais desert ne fut moins connu des humains ;
A peine le Soleil en sçavoit les chemins.
La bergere cherchoit les plus vastes campagnes ;
Là ses seules brebis luy servoient de compagnes :
Les vents en sa faveur leur offroient un air doux.
Le Ciel les preservoit de la fureur des Loups,
Et gardant leurs toisons exemptes de rapines,
Ne leur laissoit payer nul tribut aux épines.
Dans les Dédales verts que formoient les hailliers,
L’herbe tendre, le thim, les humbles violiers,
Présentoient aux troupeaux une pasture exquise.
En des lieux découverts nostre bergere assise
Aux injures du hasle exposoit ses attraits ;