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POEME DE LA CAPTIVITE.

A versez le serpent dont Christ est le vainqueur.
Malc avoit dans ces lieux confiné sa jeunesse,
Vivoit sous les conseils d’un Saint plein de sagesse,
Conservoit avec soin le trésor précieux
Que nous tenons d’une eau dont la source est aux Cieux.
Les auteurs de ses jours descendus sous la tombe,
Aux tresors temporels le jeune Saint succombe ;
Croit qu’on peut en joüir sans estre criminel ;
Que souvent on tient d’eux l’heritage eternel ;
Qu’on n’a qu’à faire entrer, par un pieux usage,
Les membres du Seigneur et leur chef en partage.
Funeste appas de l’or, moteur de nos desseins,
Que ne peux-tu sur nous, si tu plais mesme aux Saints !
Malc annonce au vieillard censeur de sa jeunesse
Qu’il va de ses ayeux recüeillir la richesse ;
Qu’il tasche d’empescher que des biens assez grands
Ne soient mal dispensez par d’avares parens ;
Qu’il veut fonder un cloistre, et destine le reste
A vivre sans éclat, tousjours simple et modeste,
Donnant un saint exemple, et par ses soins pieux
Peut-estre plus utile au siecle qu’en ces lieux.
Mon fils, dit le vieillard, il faut qu’avec franchise
Je vous ouvre mon cœur touchant vostre entreprise.
Où vous exposez-vous ? et qu’allez-vous tenter ?
En de nouveaux perils pourquoy vous rejetter ?
De triompher toûjours seriez-vous bien capable ?
Ah ! si vous le croyez, l’orgueil vous rend coupable ?
Sinon, vostre imprudence a desja merité
Les reproches d’un Dieu justement irrité.
Fuyez, fuyez, mon Fils, le monde et ses amorces :
Il est plein de dangers qui surpassent vos forces.
Fuyez l’or ; mais fuyez encor d’autres appas :
On ne sort, qu’en fuyant, vainqueur de ces combats.
La paix que nous goûtons a-t-elle moins de charmes ?
Quoy ! vous hasarderiez le fruit de tant de forces,
Et celuy de ce sang qu’un Dieu versa pour vous !
A ces mots le vieillard se jette à ses genoux.
Malc le quite en pleurant ; triste et funeste absence !
Il abandonne au sort sa fragile innocence ;