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CINQUIESME PARTIE.

Il ne montroit toûjours si frequemment
De cette ardeur l’emportement extrême.
On imputa cet excez de fureur
A la Soubrette, et la Dame en son cœur
Se proposa d’en dire sa pensée :
La fête estant de la sorte passée,
Du noir séjour ils n’eurent qu’à sortir.
L’Associé des frais et du plaisir
S’en court en haut en certain vestibule :
Mais quand l’Epoux vit sa Femme monter
Et qu’elle eut vu l’Amy presenter,
On peut juger quel soupçon, quel scrupule,
Quelle surprise, eurent les pauvres gens ;
Ni l’un ni l’autre ils n’avoient eu le temps
De composer leur mine et leur visage.
L’Epoux vit bien qu’il falloit estre sage,
Mais sa Moitié pensa tout découvrir.
J’en suis surpris ; femmes sçavent mentir.
La moins habile en connoit la science[1].
Aucuns ont dit qu’Alix fit conscience
De n’avoir pas mieux gagné son argent,
Plaignant l’Epoux, et le dédommageant,
Et voulant bien mettre tout sur son compte ;
Tout cela n’est que pour rendre le conte
Un peu meilleur. J’ay veu les gens mouvoir
Deux questions : l’une, c’est à sçavoir
Si l’Epoux fut du nombre des confreres,
A mon avis n’a point de fondement,
Puisque la Dame et l’Amy nullement
Ne pretendoient vacquer à ces misteres.
L’autre point est touchant le talion ;
Et l’on demande en cette occasion
Si, pour user d’une juste vangeance,
Pretendre erreur et cause d’ignorance

  1. Manuscrit suivi par M. Walckenaër :
    J’en suis surpris ; la plus sotte, à mentir
    Est trés-habile, et sçait cette science.