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CINQUIESME PARTIE.

Ny des temps fabuleux enfin la moindre trace
Qui pût me presenter l’image de ces lieux ?
Pour revenir au fait, et ne point trop m’étendre,
Cimon, le Heros de ces vers,
Se promenoit prés du Scamandre.
Une jeune ingenuë en ce lieu se vient rendre,
Et goûter la fraicheur sur ces bords toûjours verts.
Son voile au gré des vens va flotant dans les airs ;
Sa parure est sans art ; elle a l’air de bergere,
Une beauté naïve, une taille legere.
Cimon en est surpris, et croit que sur ces bords
Venus vient étaler ses plus rares trésors.
Un antre étoit auprés : l’innocente pucelle
Sans soupçon y descend, aussi simple que belle.
Le chaud, la solitude, et quelque Dieu malin,
L’inviterent d’abord à prendre un demi bain.
Nôtre banni se cache ; il contemple, il admire ;
Il ne sçait quels charmes élire ;
Il devore des yeux et du cœur cent beautez.
Comme on étoit remply de ces Divinitez
Que la Fable a dans son Empire,
Il songe à profiter de l’erreur de ces temps,
Prend l’air d’un Dieu des eaux, moüille ses vétemens,
Se couronne de joncs et d’herbe degoutante,
Puis invoque Mercure et le Dieu des Amans.
Contre tant de trompeurs qu’eût fait une innocente ?
La belle enfin découvre un pied dont la blancheur
Auroit fait honte à Galatée,
Puis le plonge en l’onde argentée,
Et regarde ses lys, non sans quelque pudeur.
Pendant qu’à cet objet sa veuë est arrétée,
Cimon aproche d’elle ; elle court se cacher
Dans le plus profond du rocher.
Je suis, dit-il, le Dieu qui commande à cette onde ;
Soyez-en la Déesse, et regnez avec moy :
Peu de Fleuves pourroient dans leur grotte profonde
Partager avec vous un aussi digne employ.
Mon cristal est trés-pur ; mon cœur l’est davantage :