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CONTES ET NOUVELLES.


II. — LE FLEUVE SCAMANDRE.
CONTE.


Me voila prest à conter de plus belle ;
Amour le veut, et rit de mon serment :
Hommes et Dieux, tout est sous sa tutelle,
Tout obeït, tout cede à cet enfant.
J’ay desormais besoin, en le chantant,
De traits moins forts et déguisans la chose ;
Car, aprés tout, je ne veux être cause
D’aucun abus ; que plûtôt mes écrits
Manquent de sel, et ne soient d’aucun prix !
Si dans ces vers j’introduis et je chante
Certain trompeur et certaine innocente,
C’est dans la veuë et dans l’intention
Qu’on se meffie en telle occasion.
J’ouvre l’esprit, et rends le sexe habile
A se garder de ces pieges divers.
Sotte ignorance en fait trebucher mille,
Contre une seule à qui nuiroient mes vers.

J’ai lû qu’un Orateur estimé dans la Grece,
Des beaux Arts autrefois souveraine Maîtresse,
Banni de son pays, voulut voir le séjour
Où subsistoient encor les ruïnes de Troye ;
Cimon, son camarade, eut sa part de la joye.
Du débris d’Ilion s’étoit construit un bourg
Noble par ses malheurs : là Priam et sa Cour
N’étoient plus que des noms dont le Temps fait sa proye.
Ilion, ton nom seul a des charmes pour moy ;
Lieu fécond en sujets propres à nôtre employ,
Ne verray-je jamais rien de toy, ny la place
De ces murs élevez et détruits par des Dieux,
Ny ces champs où couroient la fureur et l’audace,