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QUATRIESME PARTIE.

Pose dessus une main en disant :
Que cecy soit beau poitrail de Jument.
Puis cette main dans le pays s’avance.
L’autre s’en va transformer ces deux monts
Qu’en nos climats les gens nomment tetons ;
Car, quant à ceux qui sur l’autre hemisphere
Sont étendus, plus vastes en leur tour,
Par reverence on ne les nomme guere.
Messire Jean leur fait aussi sa cour,
Disant toôjours, pour la ceremonie,
Que cecy soit telle ou telle partie,
Ou belle croupe, ou beaux flancs, tout enfin.
Tant de façons mettoient Pierre en chagrin ;
Et, ne voyant nul progrés à la chose,
Il prioit Dieu pour la Métamorphose.
C’estoit en vain ; car de l’enchantement
Toute la force et l’accomplissement
Gisoit à mettre une queuë à la beste.
Tel ornement est chose fort honneste :
Jean, ne voulant un tel poinct oublier,
L’attache donc. Lors Pierre de crier
Si haut qu’on l’eust entendu d’une lieuë :
Messire Jean, je n’y veux point de queuë !
Vous l’attachez trop bas, Messire Jean !
Pierre à crier ne fut si diligent,
Que bonne part de la ceremonie
Ne fust des-ja par le Prestre accomplie.
A bonne fin le reste auroit esté,
Si, non contant d’avoir des-ja parlé,
Pierre encor n’eust tiré par la Soutane
Le Curé Jean, qui luy dit : Foin de toy !
T’avois-je pas recommandé, gros asne,
De ne rien dire, et de demeurer coy ?
Tout est gasté ; ne t’en pren qu’à toy-mesme.
Pendant ces mots, l’Epoux gronde à part soy.
Magdeleine est en un courroux extreme,
Querelle Pierre, et luy dit : Malheureux !
Tu ne seras qu’un miserable gueux

La Fontaine.- II. 19