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QUATRIESME PARTIE.

Vers Alibech, et l’éveille en sursaut :
Ce n’est bien fait que de dormir si tost,
Dit le frater ; il faut au préallable
Qu’on fasse une œuvre à Dieu fort agreable,
Emprisonnant en enfer le malin ;
Créé ne fut pour aucune autre fin :
Procédons-y. Tout à l’heure il se glisse
Dedans le lit. Alibech sans malice,
N’entendoit rien à ce mystere là ;
Et, ne sçachant ny cecy ny cela,
Moitié forcée, et moitié consentante,
Moitié voulant combatre ce désir,
Moitié n’osant, moitié peine et plaisir,
Elle creut faire acte de repentante ;
Bien humblement rendit grace au frater ;
Sceut ce que c’est que le diable en enfer.
Desormais faut qu’Alibech se contante
D’estre martire, en cas que sainte soit :
Frere Rustic peu de vierges faisoit.
Cette leçon ne fut la plus aisée,
Dont Alibech, non encor déniaisée,
Dit : Il faut bien que le Diable en effet
Soit une chose étrange et bien mauvaise :
Il brise tout ; voyez le mal qu’il fait
A sa prison : non pas qu’il m’en déplaise ;
Mais il merite, en bonne verité,
D’y retourner. Soit fait, ce dit le frere.
Tant s’appliqua Rustic à ce mystere,
Tant prit de soin, tant eut de charité,
Qu’enfin l’Enfer s’accoustumant au Diable
Eust eu toûjours sa presence agreable,
Si l’autre eust pu toûjours en faire essay.
Surquoy la belle : On dit encor bien vray,
Qu’il n’est prison si douce, que son hôte
En peu de temps ne s’y lasse sans faute.
Bien tost nos gens ont noise sur ce poinct.
En vain l’Enfer son prisonnier rappelle ;