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CONTES ET NOUVELLES.

Si je résiste à chose si gentille,
J’atteinds le comble, et me tire du pair.
Il la retint, et fut si téméraire,
Qu’outre Satan il défia la chair,
Deux ennemis toûjours prests à mal faire.
Or sont nos saints logés sous méme toict.
Rustic apreste, en un petit endroit,
Un petit lit de jonc pour la Novice ;
Car, de coucher sur la dure d’abord,
Quelle apparence ? elle n’estoit encor
Accoûtumée à si rude exercice.
Quant au souper, elle eut pour tout service
Un peu de fruit, du pain non pas trop beau.
Faites estat que la magnificence
De ce repas ne consista qu’en l’eau,
Claire, d’argent, belle par excellence.
Rustic jeûna ; la fille eut appetit.
Couchez à part, Alibech s’endormit ;
L’hermite non. Une certaine beste,
Diable nommée, un vray serpent maudit,
N’eut point de paix qu’il ne fût de la féte.
On l’y reçoit. Rustic roule en sa teste,
Tantost les traits de la jeune beauté,
Tantost sa grace et sa naïveté,
Et ses façons, et sa maniere douce,
L’âge, la taille, et surtout l’enbonpoint,
Et certain sein ne se reposant point,
Allant, venant ; sein qui pousse et repousse
Certain corset en dépit d’Alibech
Qui tasche en vain de luy clorre le bec :
Car toûjours parle ; il va, vient, et respire :
C’est son patois ; Dieu sçait ce qu’il veut dire.
Le pauvre Hermite, émeu de passion,
Fit de ce poinct sa méditation.
Adieu la haire, adieu la discipline ;
Et puis voila de ma devotion !
Voila mes saints ! celuy-cy s’achemine