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CONTES ET NOUVELLES.

Qui nous a fait recevoir parmi nous
Cette voirie ? Isabeau, sçavez-vous
(Car desormais qu’icy l’on vous honore
Du nom de sœur, ne le pretendez pas),
Sçavez-vous, dis-je, à quoy, dans un tel cas,
Nostre institut condamne une meschante ?
Vous l’apprendrez devant qu’il soit demain.
Parlez, parlez. Lors la pauvre Nonain,
Qui jusque là, confuse et repentante,
N’osoit bransler, et la veüe abbaissoit,
Leve les yeux, par bon-heur apperçoit
Le haut de chausse, à quoy toute la bande,
Par un effet d’émotion trop grande,
N’avoit pris garde, ainsi qu’on void souvent.
Ce fut hazard qu’Isabelle à l’instant
S’en apperceut. Aussi-tost la pauvrette
Reprend courage, et dit tout doucement :
Vostre Psautier a ne sçais quoy qui pend ;
Raccommodez-le. Or, c’estoit l’éguillette :
Assez souvent pour bouton l’on s’en sert.
D’ailleurs ce voile avoit beaucoup de l’air
D’un haut de chausse, et la jeune Nonette,
Ayant l’idée encor fraische des deux,
Ne s’y méprit : non pas que le Messire
Eust chausse faite ainsi qu’un amoureux :
Mais à peu prés ; cela devoit suffire.
L’Abbesse dit : Elle ose encore rire !
Quelle insolence ! Un peché si honteux
Ne la rend pas plus humble et plus soumise !
Veut-elle point que l’on la Canonise ?
Laissez mon voile, esprit de Lucifer ;
Songez, songez, petit tison d’enfer,
Comme on pourra racommoder vostre ame.
Pas ne finit mere Abbesse sa game
Sans sermonner et tempester beaucoup.
Sœur Isabeau luy dit encore un coup :
Raccommodez vostre Psautier, Madame.
Tout le troupeau se met à regarder :