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QUATRIESME PARTIE.

Et se pouvoit lever de ce tombeau
Qui conduisoit en un profond caveau.
D’abord la peur se saisit de nostre homme.
Qu’est-ce cela ? songe-t-il ? est-il mort ?
Seroit-ce point quelque espece de sort ?
Puis il demande aux gens comme on les nomme,
Ce qu’ils font là, d’où vient que dans ce lieu
L’on le retient, et qu’a-t-il fait à Dieu ?
L’un d’eux luy dit : Console-toy, Feronde ;
Tu te verras citoyen du haut monde
Dans mille ans d’huy, complets et bien contez ;
Auparavant il faut d’aucuns pechez
Te nettoyer en ce saint Purgatoire :
Ton ame un jour plus blanche que l’yvoire
En sortira. L’ange consolateur
Donne, à ces mots, au pauvre receveur
Huit ou dix coups de forte discipline,
En luy disant : C’est ton humeur mutine,
Et trop jalouse, et desplaisant[1] à Dieu,
Qui te retient pour mille ans en ce lieu.
Le receveur, s’estant frotté l’épaule,
Fait un soupir : Mille ans ! c’est bien du temps !
Vous noterez que l’Ange estoit un drosle,
Un frere Jean, novice de leans.
Ses compagnons joüoient chacun un role
Pareil au sien dessous un feint habit.
Le receveur requiert pardon, et dit :
Las ! si jamais je rentre dans la vie,
Jamais soupçon, ombrage, et jalousie,
Ne rentreront dans mon maudit esprit :
Pourrois-je point obtenir cette grace ?
On la luy fait esperer, non si-tost ;
Force est qu’un an dans ce sejour se passe ;
Là cependant il aura ce qu’il faut
Pour sustenter son corps, rien davantage ;

  1. Desplaisante, dans l’édition de 1675 (sans lieu) et dans celle de 1685.