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CONTES ET NOUVELLES.

Qu’il n’en eust doute, et ne vist en l’affaire
Un peu plus clair qu’il n’estoit necessaire.
Sa femme alloit toûjours chez le Prélat,
Et prétextoit ses allées et venües
De soins divers de cet œconomat.
Elle alleguoit mille affaires menuës.
C’estoit un compte, ou c’estoit un achapt ;
C’estoit un rien ; tant peu plaignoit sa peine.
Bref, ii n’estoit nul jour en la sepmaine,
Nulle heure au jour, qu’on ne vist en ce lieu
La receveuse. Alors le pere en Dieu
Ne manquoit pas d’écarter tout son monde :
Mais le mari, qui se doutoit du tour,
Rompoit les chiens, ne manquant au retour
D’imposer mains sur Madame Feronde.
Onc il ne fut un moins commode époux.
Esprits ruraux votontiers sont jaloux,
Et sur ce poinct à chausser difficiles,
N’estant pas faits aux coûtumes des Villes.
Monsieur l’Abbé trouvoit cela bien dur,
Comme Prélat qu’il estoit, partant homme
Fuyant la peine, aymant le plaisir pur,
Ainsi que fait tout bon suppost de Rome.
Ce n’est mon goust ; je ne veux de plein saut
Prendre la ville, aymant mieux l’escalade ;
En amour dea, non en guerre ; il ne faut
Prendre cecy pour guerriere bravade,
Ny m’enrôller là dessus malgré moy.
Que l’autre usage ayt la raison pour soy,
Je m’en rapporte, et reviens à l’histoire
Du receveur, qu’on mit en Purgatoire
Pour le guerir ; et voicy comme quoy.
Par le moyen d’une poudre endormante,
L’abbé le plonge en un trés-long sommeil.
On le croit mort, on l’enterre, on chante ;
Il est surpris de voir, à son réveil,
Autour de luy, gens d’estrange maniere ;
Car il estoit au large dans sa biere,