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QUATRIESME PARTIE.

Tout au rebours il est une Province
Où les gens sont haïs, maudits de Dieu :
On les connoist à leur visage mince ;
Le long dormir est exclus de ce lieu.
Partant, lecteurs, si quelqu’un se présente
A vos regards, ayant face riante,
Couleur vermeille, et visage replet,
Taille non pas de quelque mingrelet,
Dire pourrez, sans que l’on vous condamne,
Cetuy me semble, à le voir, Papimane.
Si d’autre part celuy que vous verrez
N’a l’œil riant, le corps rond, le teint frais,
Sans hesiter qualifiez cét homme
Papefiguier. Papefigue se nomme
L’Isle et Province où les gens autrefois
Firent la figue au portrait du saint Pere :
Punis en sont ; rien chez eux ne prospere :
Ainsi nous l’a conté maistre François.
L’Isle fut lors donnée en apannage
A Lucifer : c’est sa maison des champs.
On void courir par tout cet heritage
Ses commensaux, rudes à pauvres gens ;
Peuple ayant queüe, ayant cornes et grifes,
Si maints tableaux ne sont point apocriphes.
Avint un jour qu’un de ces-beaux messieurs
Vid un manant rusé, des plus trompeurs,
Verser un champ dans l’Isle dessusdite.
Bien patoissoit la terre estre maudite,
Car le manant avec peine et sueur
La retournoit, et faisoit son labeur.
Survient un diable à titre de Seigneur.
Ce diable estoit des gens de l’Evangile,
Simple, ignorant, à tromper trés-facile,
Bon Gentilhomme, et qui, dans son courroux,
N’avoit encor tonné que sur les choux :
Plus ne sçavoit apporter de dommage.
Vilain, dit-il, vaquer à nul ouvrage
N’est mon talent : je suis un diable issu