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TROISIESME PARTIE.

Que jamais femme au monde puisse avoir,
Un fils unique, une unique esperance,
S’en vienne au moins s’acquitter du devoir
De la nature, et pour route allegeance
En votre sein décharge sa douleur.
Vous sçavez bien par vostre experience
Que c’est d’aimer, vous le sçavez, Seigneur.
Ainsi je crois trouver chez vous excuse.
Helas ! reprit l’Amant infortuné,
L’oiseau n’est plus ; vous en avez disné.
L’oiseau n’est plus ! dit la veuve confuse.
Non, reprit-il ; plust au Ciel vous avoir
Servy mon cœur, et qu’il eust pris la place
De ce Faucon : mais le sort me fait voir
Qu’il ne sera jamais en mon pouvoir
De meriter de vous aucune grace.
En mon pailler rien ne m’estoit resté :
Depuis deux jours la beste a tout mangé,
J’ay veu l’oiseau ; je l’ay tué sans peine :
Rien couste-t-il quand on reçoit sa Reine ?
Ce que je puis pour vous est de chercher
Un bon Faucon ; ce n’est chose si rare
Que dés demain nous n’en puissions trouver.
Non, Federic, dit-elle, je declare
Que c’est assez. Vous ne m’avez jamais
De vostre amour donné plus grande marque.
Que mon fils soit enlevé par la parque,
Ou que le Ciel le rende à mes souhaits,
J’auray pour vous de la reconnoissance.
Venez me voir, donnez m’en l’esperance.
Encore un coup, venez nous visiter.
Elle partit, non sans luy presenter
Une main blanche, unique témoignage
Qu’Amour avoit amolly ce courage.
Le pauvre Amant prit la main, la baisa,
Et de ses pleurs quelque temps l’arrosa.
Deux jours aprés l’enfant suivit le pere.
Le deüil fut grand : la trop dolente mere