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CONTES ET NOUVELLES.

Il va chercher quelque œuf au poulailler,
Quelque morceau de lard en son grenier.
Le pauvre Amant en ce besoin extreme
Void son Faucon, sans raisonner le prend,
Luy tord le cou, le plume, le fricasse,
Et l’assaisonne, et court de place en place.
Tandis la vieille a soin du demeurant ;
Foüille au bahu ; choisit pour cette feste
Ce qu’ils avoient de linge plus honeste ;
Met le couvert ; va cueillir au jardin
Du serpolet, un peu de romarin,
Cinq ou six fleurs, dont la table est jonchée.
Pour abreger, on sert la fricassée.
La Dame en mange, et feint d’y prendre goust.
Le repas fait, cette femme resoud
De hazarder l’incivile Requeste,
Et parle ainsi : Je suis folle, Seigneur,
De m’en venir vous arracher le cœur
Encore un coup ; il ne m’est guere honneste
De demander à mon défunt Amant
L’oiseau qui fait son seul contentement :
Doit-il pour moy s’en priver un moment ?
Mais excusez une mere affligée,
Mon fils se meurt : il veut vostre Faucon :
Mon procedé ne merite un tel don :
La raison veut que je sois refusée.
Je ne vous ay jamais accordé rien.
Vostre repos, vostre honneur, vostre bien,
S’en sont allez aux plaisirs de Clitie.
Vous m’aimiez plus que vostre propre vie
A cet amour j’ay trés-mal répondu :
Et je m’en viens, pour comble d’injustice,
Vous demander…. et quoy ? c’est temps perdu ;
Vostre Faucon. Mais non, plustot perisse
L’enfant, la mere, avec le demeurant,
Que de vous faire un déplaisir si grand.
Souffrez sans plus que cette triste mere,
Aimant d’amour la chose la plus chere