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TROISIESME PARTIE.

Son maistre n’eust donné pour un tresor
Un tel Faucon. Qui fut bien empeschée,
Ce fut Clitie. Aller oster encor
A Federic l’unique et seule chose
Qui luy restoit ! et supposé qu’elle ose
Luy demander ce qu’il a pour tout bien,
Auprés de luy meritoit-elle rien ?
Elle l’avoit payé d’ingratitude :
Point de faveurs ; toûjours hautaine et rude
En son endroit. De quel front s’en aller
Aprés cela le voir et luy parler,
Ayant esté cause de sa ruine ?
D’autre costé l’enfant s’en va mourir,
Refuse tout, tient tout pour medecine :
Afin qu’il mange il faut l’entretenir
De ce Faucon : il se tourmente, il crie :
S’il n’a l’oiseau c’est fait que de sa vie.
Ces raisons-cy l’emporterent enfin.
Chez Federic la Dame un beau matin
S’en va sans suite, et sans nul équipage.
Federic prend pour un Ange des Cieux
Celle qui vient d’apparoistre à ses yeux.
Mais cependant, il a honte, il enrage,
De n’avoir pas chez soy pour luy donner
Tant seulement un mal-heureux disner.
Le pauvre estat où sa Dame le treuve
Le rend confus. Il dit donc à la veuve :
Quoy ! venir voir le plus humble de ceux
Que vos beautez ont rendus amoureux !
Un Villageois, un haire, un miserable !
C’est trop d’honneur ; vostre bonté m’accable.
Assurément vous alliez autre part.
A ce propos nostre veuve repart :
Non, non, Seigneur, c’est pour vous la visite.
Je viens manger avec vous ce matin.
Je n’ay, dit-il, cuisinier ny marmite :
Que vous donner ? N’avez-vous pas du pain,
Reprit la Dame. Incontinent luy-mesme