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TROISIESME PARTIE.

Icy Marquis, Baron peut estre ailleurs.
Je ne sçay pas lesquels sont les meilleurs ;
Mais je sçay bien qu’avecque la patente
De ces beaux noms on s’en aille au marché,
L’on reviendra comme on estoit allé :
Prenez le titre, et laissez-moy la rente.
Clitie avoit aussi beaucoup de bien,
Son mary mesme estoit grand terrien.
Ainsi jamais la belle ne prit rien,
Argent ny dons ; mais souffrit la dépense
Et les cadeaux, sans croire pour cela
Estre obligée à nulle recompense.
S’il m’en souvient, j’ay dit qu’il ne resta
Au pauvre Amant rien qu’une métairie,
Chetive encor, et pauvrement bastie.
Là Federic alla se confiner ;
Honteux qu’on vist sa misere en Florence ;
Honteux encor de n’avoir sceu gagner,
Ny par amour, ny par magnificence,
Ny par six ans de devoirs et de soins
Une beauté qu’il n’en aimoit pas moins.
Il s’en prenoit à son peu de merite,
Non à Clitie ; elle n’oüit jamais,
Ny pour froideurs, ny pour autres sujets,
Plainte de luy ny grande ny petite.
Nostre amoureux subsista comme il put
Dans sa retraite, où le pauvre homme n’eut
Pour le servir qu’une vieille édentée,
Cuisine froide et fort peu frequentée ;
A l’écurie un cheval assez bon,
Mais non pas fin : sur la perche un Faucon
Dont à l’entour de cette métairie
Défunt Marquis s’en alloit, sans valets,
Sacrifiant à sa mélancolie
Mainte perdrix, qui, las ! ne pouvoit mais
Des cruautez de Madame Clitie.
Ainsi vivoit le mal-heureux Amant ;
Sage s’il eust, en perdant sa fortune,