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TROISIESME PARTIE.


IV. — LA COUPE ENCHANTÉE.


Nouvelle tirée de l’Arioste[1].


Les maux les plus cruels ne sont que des chansons
Prés de ceux qu’aux Maris cause la jalousie.
Figurez-vous un Fou chez qui tous les soupçons
Sont bien venus, quoy qu’on luy die.
Il n’a pas un moment de repos en sa vie :
Si l’oreille luy tinte, ô Dieux ! tout est perdu.
Ses songes sont toûjours que l’on le fait cocu.
Pourvû qu’il songe, c’est l’affaire.
Je ne vous voudrois pas un tel point garantir ;
Car pour songer il faut dormir,
Et les jaloux ne dorment guere.
Le moindre bruit éveille un mary soupçonneux ;
Qu’alentour de sa femme une mouche bourdonne,
C’est cocuage qu’en personne
Il a vû de ses propres yeux,
Si bien vû que l’erreur n’en peut estre effacée.
Il veut à toute force estre au nombre des sots.
Il se maintient Cocu, du moins de la pensée,
S’il ne l’est en chair et en os.
Pauvres gens, dites-moy, qu’est-ce que cocuage ?
Quel tort vous fait-il ? quel dommage ?
Qu’est-ce enfin que ce mal dont tant de gens de bien
Se moquent avec juste cause ?
Quand on l’ignore, ce n’est rien,

  1. Orlando furioso, canto XLII-XLIII. -- Jean Sambix, libraire à Leyde, publia en 1669 un long fragment de La Coupe enchantée ; La Fontaine le donna à son tour au public, dans le courant de la même année, à la suite des deux premières parties des Contes ; c’est seulement en 1671? que cette nouvelle parut complète à la place qu’elle occupe ici.