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DEUXIESME PARTIE.

Presque tout le peuple Corsaire,
Du sommeil à la mort n’ayant qu’un pas à faire
Fut assommé sans le sentir.

Le Chef pendu, l’on ameine l’Infante.
Son peu d’amour pour le voleur,
Sa surprise et son épouvante,
Et les civilitez de son Liberateur,
Ne luy permirent pas de répandre des larmes.
Sa priere sauva la vie à quelques gens.
Elle plaignit les morts, consola les mourans,
Puis quitta sans regret ces lieux remplis d’alarmes.
On dit mesme qu’en peu de temps
Elle perdit la memoire
De ses deux derniers Galants ;
Je n’ay pas peine à le croire.

Son voisin la receut en un appartement
Tout brillant d’or et meublé richement.
On peut s’imaginer l’ordre qu’il y fit mettre.
Nouvel Hoste et nouvel Amant,
Ce n’estoit pas pour rien obmettre.
Grande chere sur tout, et des vins fort exquis.
Les Dieux ne sont pas mieux servis.
Alaciel qui de sa vie,
Selon sa Loy, n’avoit bû vin,
Gousta ce solr par compagnie
De ce breuvage si divin.
Elle ignoroit l’effet d’une liqueur si douce,
Insensiblement fit carrousse :
Et comme amour jadis luy troubla la raison,
Ce fut lors un autre poison.
Tous deux sont à craindre des Dames.
Alaciel mise au lit par ses femmes,
Ce bon Seigneur s’en fut la trouver tout d’un pas.
Quoy trouver ? dira-t-on, d’immobiles appas ?
Si j’en trouvois autant je sçaurois bien qu’en faire
Disoit l’autre jour un certain :

La Fontaine.-- II.