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CONTES ET NOUVELLES.

Allons tirer nostre voisine
D’entre les grifes du mastin.
Que ce soir chacun soit en armes ;
Mais doucement et sans donner d’alarmes :
Sous les auspices de la nuit,
Nous pourrons nous rendre sans bruit
Au pied de ce chasteau, dés la petite pointe
Du jour ;
La surprise à l’ombre estant jointe
Nous rendra sans hazard maistres de ce sejour.
Pour ma part du butin je ne veux que la Dame
Non pas pour en user ainsi que ce voleur ;
Je me sens un desir en l’ame
De luy restituer ses biens et son honneur.
Tout le reste est à vous, hommes, chevaux, bagage,
Vivres, munitions, enfin tout l’équipage
Dont ces Brigands ont emply la maison.
Je vous demande encore un don ;
C’est qu’on pende aux creneaux haut et court le Corsaire.
 
Cette harangue militaire
Leur sceut tant d’ardeur inspirer,
Qu’il en falut une autre afin de moderer
Le trop grand desir de bien faire.
Chacun repaist le soir étant venu :
L’on mange peu ; l’on boit en recompense :
Quelques tonneaux sont mis sur cu.
Pour avoir fait cette dépense,
Il s’est gagné plusieurs combats,
Tant en Allemagne qu’en France.
Ce Seigneur donc n’y manqua pas,
Et ce fut un trait de prudence.
Mainte échelle est portée, et point d’autre embarras.
Point de tambours, force bons coutelas.
On part sans bruit, on arrive en silence.
L’Orient venoit de s’ouvrir.
C’est un temps où le somme est dans sa violence,
Et qui par sa fraischeur nous contraint de dormir.