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DEUXIESME PARTIE.

Et tenez pour chose asseurée
Que si je ne vous fais du bien,
Je seray de prés éclairée.
 
Que ce fust ou non son dessein,
Pour se servir d’Hispal, il faloit tout promettre.
Dés qu’il trouve à propos de se mettre en chemin,
L’Infante pour Zaïr le charge d’une lettre.
Il s’embarque, il fait voile, il vogue, il a bon vent ;
Il arrive à la Cour, où chacun luy demande
S’il est mort, s’il est vivant,
Tant la surprise fut grande ;
En quels lieux est l’Infante, enfin ce qu’elle fait.
Dés qu’il eut à tout satisfait,
On fit partir une escorte puissante.
Hispal fut retenu ; non qu’on eust en effet
Le moindre soupçon de l’Infante.
Le chef de cette escorte estoit jeune et bien fait.
Abordé prés du parc, avant tout il partage
Sa troupe en deux, laisse l’une au rivage,
Va droit avec l’autre au chasteau.
La beauté de l’Infante estoit beaucoup accreuë :
Il en devint épris à la premiere veuë,
Mais tellement épris, qu’attendant qu’il fist beau,
Pour ne point perdre temps, il luy dit sa pensée.
Elle s’en tint fort offensé,
Et l’avertit de son devoir.
Témoigner en tel cas un peu de desespoir
Est quelquesfois une bonne recepte.
C’est ce que fait notre homme ; il forme le dessein
De se laisser mourir de faim ;
Car de se poignarder, la chose est trop tost faite :
On n’a pas le temps d’en venir
Au repentir.
D’abord Alaciel rioit de sa sottise.
Un jour se passe entier, luy sans cesse jeusnant,
Elle toûjours le détournant
D’une si terrible entreprise.