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LIVRE TROISIÉME.

Fait le veau sur son Asne, et pense estre bien sage.
Il n’est, dit le Meusnier, plus de Veaux à mon âge.
Passez vostre chemin, la fille, et m’en croyez.
Apres maints quolibets coup sur coup renvoyez,
L’homme crût avoir tort, et mit son fils en croupe.
Au bout de trente pas, une troisième troupe
Trouve encore à gloser. L’un dit, Ces gens sont fous ;
Le Baudet n’en peut plus ; il mourra sous leurs coups.
Hé quoy, charger ainsi cette pauvre Bourique ?
N’ont-ils point de pitié de leur vieux domestique ?
Sans doute qu’à la Foire ils vont vendre sa peau.
Parbieu, dit le Meusnier, est bien fou du cervean
Qui pretend contenter tout le monde et son Pere.
Essayons toutefois, si par quelque maniere
Nous en viendrons à bout. Ils descendent tous deux.
L’asne se prélassant marche seul devant eux.
Un quidan les rencontre, et dit, Est-ce la mode
Que Baudet aille à l’aise et Meusnier s’incommode ?
Qui de l’Asne ou du Maistre est fait pour se lasser ?
Je conseille à ces gens de le faire enchasser.
Ils usent leurs souliers, et conservent leur Asne ;
Nicolas, au rebours ; car quand il va voir Jeanne,
Il monte sur sa beste, et la chanson le dit[1].
Beau trio de Baudets ! Le Meusnier repartit :
Je suis Asne, il est vray, j’en conviens, je l’avouë ;
Mais que doresnavant on me blasme, on me louë,
Qu’on dise quelque chose ou qu’on ne dise rien,
J’en veux faire à ma teste ; il le fit, et fit bien.

  1. Allusion à ce couplet d’une chanson populaire :
    Adieu, cruelle Jeanne,
    Si vous ne m’aimez pas :
    Je monte mon âne,
    Pour galoper au trepas.
    Courez, ne bronchez pas,
    Nicolas ;
    Sur tout n’en revenez pas.
    (Brunettes, recueillies par Christophe Ballard, Paris, 1703, in-12, t. I, p. 203). Voyez aussi Annales de l’Auvergne, t. XV, p.169.