Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/109

Cette page a été validée par deux contributeurs.
103
LIVRE TROISIÉME.

Celuy-cy pour son goust : l’un qui se piquoit d’estre
Commensal du Jardin, l’autre de la maison.
Des fossez du Chasteau faisant leurs galeries,
Tantost on les eut vus coste à coste nâger,
Tantost courir sur l’onde, et tantost se plonger,
Sans pouvoir satisfaire à leurs vaines envies.
Un jour le Cuisinier ayant trop beu d’un coup
Prit pour Oison le Cigne ; et le tenant au cou,
Il alloit l’égorger, puis le mettre en potage.
L’oiseau prest à mourir se plaint en son ramage.
Le Cuisinier fut fort surpris,
Et vid bien qu’il s’estoit mépris.
Quoy ? je mettrois, dit-il, un tel chanteur en soupe ?
Non, non, ne plaise aux Dieux que jamais ma main coupe
La gorge à qui s’en sert si bien.

Ainsi dans les dangers qui nous suivent en croupe
Le doux parler ne nuit de rien.




XIII.
LES LOUPS ET LES BREBIS[1].



Apres mille ans et plus de guerre declarée,
Les Loups firent la paix avecque les Brebis.
C’estoit apparemment le bien des deux partis :
Car si les Loups mangeoient mainte beste égarée,
Les Bergers de leur peau se faisoient maints habits.
Jamais de liberté, ny pour les pasturages,
Ny d’autre part pour les carnages.
Ils ne pouvoient joüir qu’en tremblant de leurs biens.
La paix se conclut donc ; on donne des otages ;
Les Loups leurs Louveteaux, et les Brebis leurs Chiens.

  1. Voyez ci-dessus p. 30.