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FABLES CHOISIES.




V.
LE RENARD ET LE BOUC[1].



Capitaine Renard alloit de compagnie
Avec son amy Bouc des plus haut encornez.
Celuy-cy ne voyoit pas plus loin que son nez,
L’autre estoit passé maistre en fait de tromperie.
La soif les obligea de descendre en un puis.
Là chacun d’eux se desaltere.
Apres qu’abondamment tous deux en eurent pris,
Le Renard dit au Bouc : Que ferons-nous, compere ?
Ce n’est pas tout de boire ; il faut sortir d’icy.
Leve tes pieds en haut, et tes cornes aussi :
Mets-les contre les murs. Le long de ton eschine
Je grimperay premierement ;
Puis sur tes cornes m’élevant,
A l’aide de cette machine,
De ce lieu-cy je sortiray,
Apres quoy je t’en tireray.
Par ma barbe, dit l’autre, il est bon ; et je louë
Les gens bien sensez comme toy.
Je n’aurois jamais quant à moy
Trouvé ce secret, je l’avouë.
Le Renard sort du puis, laisse son compagnon,
Et vous luy fait un beau sermon
Pour l’exhorter à patience.
Si le Ciel t’eust, dit-il, donné par excellence
Autant de jugement que de barbe au menton,
Tu n’aurois pas à la legere
Descendu dans ce puis. Or adieu, j’en suis hors :

  1. Voyez ci-dessus page 13.