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doute que l’amour-propre nous laisse toujours pour les choses qui coûtent trop cher à croire.

Son désespoir fut extrême, et toutes ses pensées furent violentes ; mais, comme il était sage, il retint ses premiers mouvements, et résolut de partir le lendemain à la pointe du jour, sans voir sa femme, remettant au temps à lui donner plus de certitude, et à prendre ses résolutions.

Quelque abîmée que fût madame de Tende dans sa douleur, elle n’avait pas laissé de s’apercevoir du peu de pouvoir qu’elle avait eu sur elle-même, et de l’air dont son mari était sorti de sa chambre ; elle se douta d’une partie de la vérité ; et, n’ayant plus que de l’horreur pour la vie, elle résolut de la perdre d’une manière qui ne lui ôtât pas l’espérance de l’autre.

Après avoir examiné ce qu’elle allait faire, avec des agitations mortelles, pénétrée de ses malheurs et du repentir de sa faute, elle se détermina enfin à écrire ces mots à son mari :

« Cette lettre me va coûter la vie ; mais je mérite la mort, et je la désire. Je suis grosse ; celui qui est la cause de mon malheur n’est plus au monde, aussi-bien que le seul homme qui savait notre commerce ; le public ne l’a jamais soupçonné : j’avais résolu de finir ma vie par mes mains ; mais je l’offre à Dieu et à vous, pour l’expiation de mon crime. Je n’ai pas voulu me déshonorer aux yeux du monde, parce que ma réputation vous regarde ; conservez-la pour l’amour de vous : je vais faire paraître l’état où je suis ; cachez-en la honte, et faites-moi périr, quand vous voudrez, et comme vous le voudrez. »