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vements dont il était agité. Il lui fit voir, et par ses paroles et par ses pleurs, la plus vive et la plus tendre passion dont un cœur ait jamais été touché. Celui de madame de Clèves n’était pas insensible ; et, regardant ce prince avec des yeux un peu grossis par les larmes : Pourquoi faut-il, s’écria-t-elle, que je vous puisse accuser de la mort de M. de Clèves ? Que n’ai-je commencé à vous connaître depuis que je suis libre, ou pourquoi ne vous ai-je pas connu devant que d’être engagée ? Pourquoi la destinée nous sépare-t-elle par un obstacle si invincible ? Il n’y a point d’obstacle, madame, reprit M. de Nemours : vous seule vous opposez à mon bonheur ; vous seule vous imposez une loi que la vertu et la raison ne vous sauraient imposer. Il est vrai, répliqua-t-elle, que je sacrifie beaucoup à un devoir qui ne subsiste que dans mon imagination. Attendez ce que le temps pourra faire : M. de Clèves ne fait encore que d’expirer, et cet objet funeste est trop proche pour me laisser des vues claires et distinctes. Ayez cependant le plaisir de vous être fait aimer d’une personne qui n’aurait rien aimé, si elle ne vous avait jamais vu : croyez que les sentiments que j’ai pour vous seront éternels, et qu’ils subsisteront également, quoi que je fasse. Adieu, lui dit-elle ; voici une conversation qui me fait honte : rendez-en compte à M. le vidame ; j’y consens, et je vous en prie.

Elle sortit, en disant ces paroles, sans que M. de Nemours pût la retenir. Elle trouva M. le vidame dans la chambre la plus proche. Il la vit si troublée qu’il n’osa lui parler, et il la remit en son carrosse sans