Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 1.djvu/224

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années, elle me dit des choses qu'elle ne m'avait point encore dites, je crus qu'elle avait eu dessein de me les cacher. Je lui fis mille questions, et je lui demandai à genoux de me répondre avec sincérité. Mais quand ce qu'elle me répondait était comme je le pouvais désirer, je croyais qu'elle ne me parlait ainsi que pour me plaire ; si elle me disait des choses un peu avantageuses pour le comte de Lare, je croyais qu'elle m'en cachait bien davantage ; enfin la jalousie, avec toutes les horreurs dont on la représente, se saisit de mon esprit. Je ne lui donnais plus de repos, je ne pouvais plus lui témoigner ni passion ni tendresse, j'étais incapable de lui parler d'autre chose que du comte de Lare : j'étais pourtant au désespoir de l'en faire souvenir et de remettre dans sa mémoire tout ce qu'il avait fait pour elle. Je résolvais de ne lui en plus parler ; mais je trouvais toujours que j'avais oublié de me faire expliquer quelque circonstance ; et sitôt que j'avais commencé ce discours, c'était pour moi un labyrinthe, je n'en sortais plus, et j'étais également désespéré de lui parler du comte de Lare, ou de ne lui en parler pas.

Je passais les nuits entières sans dormir. Bélasire ne me paraissait plus la même personne. Quoi ! disais-je, c'est ce qui a fait le charme de ma passion, que de croire que Bélasire n'a jamais rien aimé, et qu'elle n'a jamais eu d'inclination pour personne : cependant, par tout ce qu'elle me dit elle-même, il faut qu'elle n'ait pas eu d'aversion pour le comte de Lare. Elle lui a témoigné trop d'estime, et elle l'a traité avec trop de civilité : si elle ne l'avait point aimé, elle l'aurait haï par la longue persécution qu'il lui a faite, et qu'il lui