Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 1.djvu/223

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ment aimé, je l'estimais plus que toutes les femmes du monde, et je me croyais sur le point de la posséder.

Je la voyais avec toute la liberté que devait avoir un homme qui l'allait bientôt épouser. Un jour, mon malheur fit que je la priai de me dire tout ce que ses amants avaient fait pour elle. Je prenais plaisir à voir la différence du procédé qu'elle avait eu avec eux, d'avec celui qu'elle avait avec moi. Elle me nomma tous ceux qui l'avaient aimée ; elle me conta tout ce qu'ils avaient fait pour lui plaire ; elle me dit que ceux qui avaient eu plus de persévérance, étaient ceux dont elle avait eu plus d'éloignement, et que le comte de Lare, qui l'avait aimée jusques à sa mort, ne lui avait jamais plu. Je ne sais pourquoi, après ce qu'elle me disait, j'eus plus de curiosité pour ce qui regardait le comte de Lare que pour les autres. Cette longue persévérance me frappa l'esprit : je la priai de me redire encore tout ce qui s'était passé entre eux ; elle le fit, et, quoiqu'elle ne me dît rien qui me dût déplaire, je fus touché d'une espèce de jalousie. Je trouvai que, si elle ne lui avait témoigné de l'inclination, qu'au moins lui avait-elle témoigné beaucoup d'estime. Le soupçon m'entra dans l'esprit qu'elle ne me disait pas tous les sentiments qu'elle avait eus pour lui. Je ne voulus point lui témoigner ce que je pensais ; je me retirai chez moi plus chagrin que de coutume ; je dormis peu, et je n'eus point de repos que je ne la visse le lendemain et que je ne lui fisse encore raconter tout ce qu'elle m'avait dit le jour précédent. Il était impossible qu'elle m'eût conté d'abord toutes les circonstances d'une passion qui avait duré plusieurs