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Les dieux boivent encor l’un plus que l’autre avide
Ils s’enivrent d’amour, de puissance et d’orgueil…
Enfin la coupe au ciel n’est plus qu’un croissant vide :
Les bienheureux ont fui, laissant l’espace en deuil.

Mais l’homme obscur a bu des gouttes du Mystère,
L’infini tout entier a pénétré ses yeux ;
Il est poète, il chante, et pour charmer la terre
Il dévoile le ciel et révèle les dieux.


JUDITH GAUTIER




LACRYMAVERE VIRGINES


À Georges Rochegrosse



Et les Vierges, ainsi de pâles asphodèles
S’embrumant de tristesse en les joyeux lilas,
Aux célestes forêts, mythiques citadelles,
Inclinaient l’immense douleur de leurs fronts las.

Leurs seins aigus vibrant d’inapaisés sanglots
Aux baisers ténébreux d’un invisible archange,
Elles se déroulaient en leur cadence étrange,
Comme une mer d’albâtre aux harmonieux flots.

Alors qu’elles passaient auprès des sveltes marbres
Sous l’austère salut des chênes frémissants,
Ariane levait ses yeux morts vers les arbres
Sous l’implacable vol de ses deuils renaissants.

Niobé s’effarait, dans leurs longs cris stridents,
Du sifflement des traits empourprant les sept filles,
Et la douce Biblis, en son lit de jonquilles,
Souhaitait son eau pure à leurs beaux fronts ardents,

Tandis que Marsyas saignant au tronc de l’yeuse
Ranimait sur sa lèvre en feu l’orgueilleux chant,
Pour saluer la troupe adorable et peureuse
De l’hymne aux doux accords dompteur du Dieu méchant.