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SONNETS



Les Grecques sur le port en péplos de safran
Agitant des lauriers et des branches de roses
Regardent revenir vers les apothéoses
Les citoyens vainqueurs des rostres du tyran.

Fendant la mer, trouant l’onde, dressant leurs proues,
Les trières sur les hauts flots glauques, les nefs
Légères au rhythme des coups d’avirons brefs,
Longs paons noirs, soulèvent l’ècume en larges roues.

La foule est au quai, joyeuse : « Ils reviennent ! les
Voici ! » Des tapis d’or les mènent au palais
Suspendre au rude Arès les dépouilles coupées ;

Les sacrificateurs traînent des boucs cornus
Et des femmes au mur allongeant leurs bras nus
Croisent des rameaux verts sur le sang des épées.




QU’ON déserte la ville ! que nul ne rallume
L’autel ! nous laisserons à tout jamais, ce soir,
Les dieux horribles de la terre, et dans le noir
Nous partirons, suivis par un frisson d’écume…

La nef impérieuse à travers l’amertume
Bondira, tranchant l’eau du fil de son coupoir,
Et nous nous pencherons sur la proue à l’espoir
De vos terribles voix, déesses de la brume !

Grands poissons glauques d’où fleurissent des corps blancs,
Nus miroirs de la lune et des flots nonchalants,
Vous qui chantez vos yeux dans les algues, Sirènes !

Quand nous aurons touché vos bouches, vous pourrez,
D’un signe seulement de vos doigts adorés,
Délivrer dans la mort nos âmes plus sereines.


CLAUDE MOREAU.