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introduction, § v.

bien qu’une autre hypothèse semble a priori admissible. On remarque surtout que les noms de lieu se présentent souvent sous la forme vulgaire et sous une forme qui parfois s’accorde avec celle qu’on trouve dans la chanson. J’ai déjà mentionné « Martinus de Olit », je citerai encore « Montem Grenier » (1217), le « Mont Graner » du poème, v. 5668, et le château « quod dicitur Crista Arnaldi » (même année), dans Pierre de Vaux-Cernai simplement « Castrum Crestæ[1] », mais dans la chanson, « Crest Arnaut », v. 5694. Faut-il de l’emploi de ces formes, qui parfois coïncident avec celles du poème, conclure que ce dernier ouvrage a été connu d’Aubri ou de l’interpolateur de sa chronique ? Je ne le crois pas : non qu’une telle supposition ait en soi rien d’inadmissible, surtout si on considère que l’auteur de cette chronique a fait, en d’autres parties de l’ouvrage, un usage véritablement extraordinaire des chansons de geste, mais d’abord parce qu’Aubri, dans le peu qu’il nous dit de la croisade, a cependant quelques petits faits qui ne se trouvent nulle autre part, d’où on doit nécessairement induire qu’il a eu des renseignements à lui propres[2] ; ensuite parce que tels des noms qu’il cite sont incorrects, tandis qu’il en eût trouvé la forme correcte dans le poème ; et l’on peut ajouter que parfois ces incorrections sont de telle nature qu’elles trahissent une origine française, ainsi lorsque le chroniqueur dit Gaillart (ad ann. 1212[3] ) au lieu de Gaillac. Il est donc permis de supposer qu’Aubri s’est servi de quelque récit, oral ou écrit, fait en français, ou du moins par un Français.

  1. Bouquet, XIX, 109 c.
  2. Voy. notamment les Additions et corrections au t. II du présent ouvrage, p. 126, n. 1.
  3. Le passage est rapporté à l’endroit indiqué dans la note précédente.