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introduction, § xi.

maintenant le castillan prononcé à l’aragonaise, ce qui le rapproche un peu du catalan, et il paraît établi qu’au moyen âge l’idiome local était encore plus voisin de cette dernière langue[1]. Quoi qu’il en soit, il résultera des observations ci-après que Guillem de Tudèle a écrit dans une langue, ou plutôt dans un jargon, qui ne doit rien — ou du moins rien de notable — au castillan ni au catalan.

Ce jargon est un mélange de provençal et de français. Le français, Guillem en avait sans doute acquis une certaine connaissance par la lecture de nos chansons de geste, dont il paraît avoir été grand amateur, ainsi qu’on l’a vu plus haut[2], et il avait pu se perfectionner au temps de la croisade, en conversant avec les croisés ; le provençal, il ne pouvait manquer de l’avoir appris à Montauban. Il ne savait ces deux langues que très imparfaitement.

De prime abord le poème de Guillem semble beaucoup plus provençal que français ; mais l’apparence ne répond pas entièrement à la réalité. Il faut considérer que le copiste

  1. C’est du moins ce que dit Mayans y Siscar, qui constate la grande conformité entre l’aragonais et le castillan, mais ajoute : « aunque antiguamente la [lengua] Aragonesa se conformava mucho mas con la Valenciana, o per decirlo mejor, era Lemosina », Origenes de la lengua española, I, 54 (§ 74). La lengua lemosina, pour les Espagnols, c’est le catalan. Je crois que Mayans exagère un peu, car Raimon Muntaner constate, au commencement du xive siècle, que, si les Catalans et les Aragonais ont un même seigneur, ils se distinguent beaucoup par la langue : « E sibe Cathalans e Aragonesos son tots de un senyor, la llengua llur es molt departida » (ch. XXIX, éd. Bofarull). L’examen des documents aragonais du moyen âge montre pourtant qu’il y a quelque vérité dans l’assertion de Mayans. Il y a quelques formes plutôt catalanes que castillanes dans deux actes de Jacme le Conquérant, passés à Tudèle en 1251 et 1253, que cite Helfferich, Raymond Lull und die Anfænge der Catalanischen Literatur, p. 47-8, mais, à tout prendre, l’ensemble de ces documents est castillan.
  2. P. xlj et suiv.