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qu’ils ont avec les langues originaires dont ils sont sortis, si la raison d’ailleurs veut qu’on suive l’usage ?

Si nos ancêtres ont mieux écrit que nous, ou si nous l’emportons sur eux par le choix des mots, par le tour et l’expression, par la clarté et la brièveté du discours, c’est une question souvent agitée, toujours indécise. On ne la terminera point en comparant, comme l’on fait quelquefois, un froid écrivain de l’autre siècle aux plus célèbres de celui-ci, ou les vers de Laurent, payé pour ne plus écrire, à ceux de Marot et de Desportes. Il faudrait, pour prononcer juste sur cette matière, opposer siècle à siècle, et excellent ouvrage à excellent ouvrage, par exemple les meilleurs rondeaux de Benserade ou de Voiture à ces deux-ci, qu’une tradition nous a conservés, sans nous en marquer le temps ni l’auteur :

Bien à propos s’en vint Ogier en France Pour le païs de mescreans monder : Ja n’est besoin de conter sa vaillance, Puisqu’ennemis n’osoient le regarder. Or quand il eut tout mis en assurance, De voyager il voulut s’enharder, En Paradis trouva l’eau de jouvance,

Dont il se sceut de vieillesse engarder Bien à propos. Puis par cette eau son corps tout decrepite Transmué fut par manière subite En jeune gars, frais, gracieux et droit.