Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 1.djvu/85

Cette page n’a pas encore été corrigée

ge et d’une santé fort affaiblie, le prièrent de leur nommer son successeur ; que comme il avait deux hommes dans son école sur qui seuls ce choix pouvait tomber, Ménédème le Rhodien, et Théophraste d’Érèse, par un esprit de ménagement pour celui qu’il voulait exclure, il se déclara de cette manière : il feignit, peu de temps après que ses disciples lui eurent fait cette prière et en leur présence, que le vin dont il faisait un usage ordinaire lui était nuisible ; il se fit apporter des vins de Rhodes et de Lesbos ; il goûta de tous les deux, dit qu’ils ne démentaient point leur terroir, et que chacun dans son genre était excellent ; que le premier avait de la force, mais que celui de Lesbos avait plus de douceur et qu’il lui donnait la préférence. Quoi qu’il en soit de ce fait qu’on lit dans Aulu-Gelle, il est certain que lorsque Aristote, accusé par Eurymédon, prêtre de Cérès, d’avoir mal parlé des Dieux, craignant le destin de Socrate, voulut sortir d’Athènes et se retirer à Chalcis, ville d’Eubée, il abandonna son école au Lesbien, lui confia ses écrits à condition de les tenir secrets ; et c’est par Théophraste que sont venus jusques à nous les ouvrages de ce grand homme.

Son nom devint si célèbre par toute la Grèce que, successeur d’Aristote, il put compter bientôt dans l’école qu’il lui avait laissée jusques à deux mille disciples. Il excita l’envie de Sophocle,